Bibliothèque et Toile
« La Toile, et sa promesse
d’une voix et d’un site pour tous, est notre équivalent du mare incognitum,
la mer inconnue qui inspirait aux voyageurs d’autrefois la tentation de la
découverte. Aussi immatérielle que l’eau, trop vaste pour l’entendement d’un
mortel, la Toile nous permet, par ce qu’elle a de prodigieux, de confondre
l’incompréhensible avec l’éternel. Comme la mer, la Toile est volatile :
soixante-dix pour cent de ses communications subsistent moins de quatre mois.
Sa vertu (sa virtualité) a pour résultat un présent continuel — ce qui, pour
les érudits médiévaux, était l’une des définitions de l’enfer. Alexandrie et
ses lettrés, par contre, ne se sont jamais mépris sur la vraie nature du
passé ; ils savaient que le passé est la source d’un présent toujours en
mouvement où de nouveaux lecteurs se plongent dans de vieux livres qui
deviennent neufs en cours de lecture. Chaque lecteur existe afin d’assurer à
un livre donné une modeste immortalité. La lecture est, en ce sens, un rituel
de renaissance. »
Alberto Manguel, La Bibliothèque, la nuit, I
(Actes Sud, 2006, trad. fr. de Ch. Le Bœuf, p. 36-37)
Un dimanche consacré au rangement de livres dans la bibliothèque et à l’amélioration de la navigation sur la Toile : ce texte, extrait de l’ouvrage passionnant de Manguel, ne pouvait pas mieux tomber.