Le temps d'aimer

Ma belle dryade m’a offert pour Noël l’édition complète des Propos d’un normand d’Alain. Depuis, je lis chaque jour le Propos correspondant publié cent ans auparavant.

Celui qu’Alain écrivait pour le 18 janvier 1909 m’a donné envie de le faire partager :

« Voici le vrai temps pour lire Spinoza ; car le ciel gris opprime la terre, et le printemps est encore un peu trop loin pour qu’on l’espère. »

Alain, Propos d’un normand, Propos n° 1042, du 18 janvier 1909

J’aime tout d’abord cette idée que certains auteurs auraient leur saison privilégiée pour être lus, et que s’il ne s’agit pas simplement d’une période de l’année, on a une atmosphère qui se prête mieux pour apprécier tel ou tel texte.

Le phénomène peut d’ailleurs se renverser : lire en plein été un auteur à l’air hivernal peut s’avérer très rafraîchissant ;-) On se crée ainsi son propre climat, sa météorologie de lecteur.

Alain prend le temps de relire la définition spinoziste de l’amour (Éthique, III, « Définitions des affections », 6) :

« « L’amour est une joie accompagnée de l’idée d’une cause extérieure » ; ainsi parle le Philosophe ; et ces mots n’éveillent rien, si on lit en courant. » (Ibid.)

Au lieu de courir, il les commente dans la foulée ;-)

« L’amour que nous éprouvons vient de nous. (…) Et sans doute nous faisons plus d’un discours là-dessus ; nous trouvons des raisons qui font que l’objet aimé nous paraît encore plus aimable ; nous le parons de notre propre joie, et nous croyons que c’est de lui qu’elle nous vient. L’objet aimé est donc plutôt un prétexte qu’une raison. Ce n’est point parce que l’on aime que l’on est heureux ; c’est parce que l’on est heureux qu’on aime. »

L’objet aimé n’est pas la cause de l’amour mais plutôt son occasion (sinon il faudrait répartir le monde en deux catégories : les êtres qui causeraient l’amour par eux-mêmes et ceux qui seraient condamnés à ne pas être aimés, faute de pouvoir le susciter).

Faut-il pour autant en conclure que si l’objet aimé est un prétexte, il est totalement arbitraire et que l’on aurait pu indifféremment se porter vers tout autre objet ? Aurait-on affaire à une vaste illusion, où les qualités propres de l’objet aimé seraient sans intérêt, voire inexistantes ?

Alain prend alors soin de préciser où se trouve l’illusion :

« Ainsi s’expliquent les illusions de l’Amour ; et ce ne sont des illusions que pour le spectateur ; pour celui qui aime, le bonheur est bien réel. »

Lorsque j’aime, mon amour pour cet être (quel qu’il soit) existe bien, puisque je l’éprouve : la joie n’est pas feinte, elle se montre sans être démontrée.

L’illusion est donc à chercher ailleurs.

On dit souvent que l’amour rend aveugle ; mais ce ne sont pas nécessairement les personnes qui l’éprouvent qui sont atteints de cécité.

Peut-être serait-il plus juste de dire que l’amour rend aveugles ceux qui ne le vivent pas et qui se contentent de l’observer de l’extérieur, car ils le prennent pour une illusion en s’empressant de dire qu’il n’est pas justifié.

Les qualités de l’objet aimé sont par conséquent bien réelles, mais c’est l’amour qui permet de les révéler.

Si l’on se refuse à aimer, le ciel restera gris et lourd…

C’est à chacun d’apporter sa lumière ;-)

Comments

[lusyamcoga]

belle illustration pour ces textes. Eh oui à nous d'apporter notre lumière...

[fF]

L'amour....L'amour...L'amour!!! ;) ça ne te rappelles rien?
Un sujet vaste, que tu abordes superbement et qui nous donne envie de l'analyser encore plus...Mais je t'épargnes mes analyses! ;)
Bises
Bonne journée!

[haude]

aïe, aïe.... La page philosophique du dimanche comme a noté un coblogueur plus haut...la photo s'intègre parfaitement dans tes pensées philosophiques... j'apprécie l'ensemble.
En réponse, un petit blocage, le tiroir "petite pensée philosophique, à placer judicieusement" que j'ai dans la tête est bloqué...
Tjs très diversifié ton blog, bonne journée @ bientôt

[catherine L]

merci pour ce partage d'Alain et cette belle illustration du propos fort à propos.......

[suzanne]

Une petite porte ouverte à de grands rêves :-)