Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le Bois de Dendropogon
Le Bois de Dendropogon
Publicité
Le Bois de Dendropogon
Derniers commentaires
Archives
Newsletter
11 février 2007

Mythe et allégorie

Voici la lettre de Lewis où il évoque brièvement le point de vue de Tolkien sur l’allégorie, pour ensuite faire sa propre distinction entre l’allégorie et le mythe.

Lettre au Père Peter Milward S.J., du 22 septembre 1956

[CL III, 789-790]

            Cher Père Milward,

            Le livre de Tolkien n’est pas une allégorie1 — une forme qui lui déplaît2. Vous approcherez au mieux sa pensée sur de telles questions en étudiant son essai sur les contes de fées, publié dans les Essays presented to Charles Williams. Son idée fondamentale sur l’art narratif est la « sub-création » — c’est-à-dire la conception d’un monde secondaire. Ce que vous appelleriez « une plaisante histoire pour enfants » serait pour lui quelque chose de bien plus sérieux qu’une allégorie. Mais pour son point de vue, lisez son essai, ce qui est indispensable. De mon point de vue, un bon mythe (c’est-à-dire une histoire à partir de laquelle des sens très variés vont croître pour différents lecteurs, en différentes époques) est une chose plus élevée qu’une allégorie (qui ne contient qu’un seul sens). Dans une allégorie, on ne peut mettre que ce que l’on connaît déjà, tandis que dans un mythe on met ce que l’on ne connaît pas encore et ce que l’on ne pourrait découvrir d’aucune autre façon.

            Bien amicalement,

            C.S. Lewis

______________

Destinataire :

            Le Père Peter Milward (né en 1925) est un professeur jésuite et un écrivain. Il connaissait déjà les œuvres de fiction de Lewis lorsqu’il le rencontra pour la première fois en 1950, au cours de ses études à Oxford. Dans sa lettre du 19 mai 2005 à Walter Hooper, Le P. Milward écrit : « (...) ma première réaction en le voyant lors d’une soirée où il était invité [« a guest night »] fut exactement la même que celle de Debra Winger dans le film Shadowlands : « Vous ne ressemblez pas à Lewis ! » » Il participa au Socratic Club, fondé par Lewis, où croyants et non-croyants discutaient de la religion. Son départ pour le Japon en 1954 marqua le début de sa correspondance avec Lewis, dont il cherchait à lire tous les ouvrages.

Il est l’auteur de nombreux livres sur le christianisme et la littérature.

Pour la présentation biographique, voir CL III, 1697-1698.

note 1 : La meilleure définition de l’allégorie, au sens où l’entendent Lewis et Tolkien, se trouve au chap. 3 de l’Allegory of Love de Lewis : « C’est dans la nature profonde de la pensée et du langage de représenter ce qui est immatériel en des termes imagés. (...) Vous (...) partez d’un fait immatériel, comme les passions dont vous faites réellement l’expérience, et vous pouvez alors inventer des visibilia (des choses visibles) pour les exprimer. Si vous hésitez entre une réplique furieuse et une réponse calme, vous pouvez exprimer votre état d’esprit en inventant une personne nommée Ira (Colère) munie d’une torche pour la faire se disputer avec une autre personne inventée, nommée Patientia (Patience). C’est une allégorie ». [N.D.E.]

note 2 : Les lecteurs trouvèrent tant d’« allégories » dans le Seigneur des Anneaux que Tolkien, lors de la publication de la seconde édition en 1966, déclara dans l’avant-propos de La Communauté de l’Anneau : « je déteste cordialement l’allégorie dans toutes ses manifestations, et l’ai toujours détestée depuis que je suis devenu assez âgé et méfiant pour détecter sa présence. Je préfère de loin l’histoire, vraie ou feinte, avec son applicabilité variable suivant la pensée et l’expérience des lecteurs. Je pense que beaucoup confondent « applicabilité » et « allégorie » ; or, l’une réside dans la liberté du lecteur, et l’autre dans la domination voulue par l’auteur » [trad. fr. par V. Ferré & D. Martin, in Tolkien : sur les rivages de la Terre du Milieu, Paris, Christian Bourgois éditeur, 2001, p. 313-314]. [N.D.E.]

______________

            Lewis a davantage travaillé la notion d’allégorie que Tolkien. À partir des analyses d’Irène Fernandez (in Mythe, raison ardente, notamment p. 280-307), on peut organiser la typologie suivante :

allégorie étroite

bonne allégorie

allégorie-expression

= élaborée par l’auteur

« monstruosité » univoque et conceptuelle

(p. 283-288)

polysémantisme, proche du mythe

(p. 289-291)

allégorie-interprétation

= élaborée par le lecteur

nuisible à l’intelligence, car pauvre et exclusive

(p. 291-298)

la bonne lecture : doublement imaginative : à la fois réceptive et active

(p. 298-304)

Publicité
Publicité
Commentaires
E
"Dans une allégorie, on ne peut mettre que ce que l’on connaît déjà, tandis que dans un mythe on met ce que l’on ne connaît pas encore et ce que l’on ne pourrait découvrir d’aucune autre façon."... hum, un vrai régal !<br /> <br /> Et merci pour la célérité de la traduction et la typologie, très éclairante. :-)
Publicité