Les flaques de Loire
La flaque est un éclat de ciel tombé à terre. Image traditionnelle, souvent symbole d’espérance...
Bachelard souligne alors le croisement des regards, riche en renversement d’images : « L’œil véritable de la terre, c’est l’eau. Dans nos yeux, c’est l’eau qui rêve » (L’eau et les rêves, chap. I, § 5 ; Le Livre de Poche, Biblio essais, p. 42).
Il poursuit en citant un passage de L’Oiseau noir dans le Soleil levant de Claudel : « Nos yeux ne sont-ils pas « cette flaque inexplorée de lumière liquide que Dieu a mise au fond de nous-mêmes » ? » (Ibid.)
Mais si l’eau est le regard de la terre, qu’en est-il des flaques dans le fleuve ?
Eaux dans l’eau, elles ne s’y noient pas pour autant.
Lorsque le courant oublie un peu de son eau rêveuse dans le lit de sable, on surprend la Loire en plein songe : regarde-t-elle l’ailleurs de sa surface ? Elle laisse ainsi transparaître un instant l’intimité de ses pensées.
Et si tout passe dans le flux héraclitéen des choses, la Loire suspend en partie le temps.
Toutefois cette parenthèse liquide n’a de sens que parce qu’elle s’inscrit dans un courant perpétuel qu’elle ignore.
Les flaques sont autant d’yeux qui ne voient pas leurs paupières.
Qu’elle se déploie sur terre ou dans l’eau, la flaque reste un regard, une faille. Elle est une suspension, qui relève tout aussi bien d’une différence de nature (entre terre et eau) que de degré (entre la course du fleuve et la rétention d’eau).
Cette suspension se donne comme une transcendance, c’est-à-dire un signe vers ce qui la dépasse : la surface devient une hauteur inversée.
En définitive, les flaques nous apprennent ce que sont nos idées : des reflets de lumière, qui retiennent un temps les choses qui s’écoulent pour représenter leur profondeur.
À moins qu’il ne s’agisse tout simplement d’un clin d’œil aux nuages hivernaux pour leur dire qu’on ne la lui fait pas, et que s’ils s’imaginent pouvoir lui cacher la lumière elle a gardé des réserves pour les jours gris...