Faire œuvre de lecture
Le passage de Bachelard que je citais hier s’ouvre sur un principe de lecture, à la fois enthousiasmant et pressant par la force qu’il réclame :
« Que nous conseille l’attitude phénoménologique ? Elle nous demande d’instituer en nous un orgueil de lecture qui nous donnerait l’illusion de participer au travail même du créateur de livre. Une telle attitude ne peut guère se prendre en première lecture. La première lecture garde trop de passivité. Le lecteur y est encore un peu un enfant, un enfant que la lecture distrait. Mais tout bon livre à peine achevé doit être immédiatement relu. Après l’esquisse qu’est la première lecture, vient l’œuvre de lecture. Il faut alors connaître le problème de l’auteur. La lecture seconde, troisième..., nous apprend peu à peu la solution de ce problème. Insensiblement, nous nous donnons l’illusion que problème et solution sont les nôtres. Cette nuance psychologique : « Nous aurions dû écrire cela », nous pose phénoménologue de la lecture. Tant que nous n’accédons pas à cette nuance, nous restons psychologue ou psychanalyste. »
Gaston Bachelard, La poétique de l’espace, chap. I, § 5
(Paris, PUF, Quadrige, 2001, p. 38)
Cet orgueil n’est pas incompatible avec l’humilité du lecteur face aux grands textes qui le convoquent, où l’on doit — comme le dit C.S. Lewis — s’abandonner soi-même pour mieux les recevoir.
Cet abandon, en effet, n’est pas passif : il permet d’entrer dans l’œuvre, dépouillé de ses préjugés, pour en saisir la saveur.
Il s’agit donc ensuite de jouer le jeu de la création, en pleine responsabilité.
Ce principe de lecture en appelle bien d’autres, et l’on pourrait citer un grand nombre d’extraits de l’Expérience de critique littéraire de C.S. Lewis.
Je m’en tiendrais à un seul :
« (...) ceux qui lisent de grandes œuvres, les liront dix, vingt ou trente fois au cours de leur existence. »
C.S. Lewis, Expérience de critique littéraire, chap. I
(Paris, Gallimard, NRF, trad. fr. de J. Autret, 1965, p. 9)
J’en suis loin, pour la plupart.